dimanche 9 février 2014

ANTHOLOGIE VICTIMES ET BOURREAUX


LECTURE DANS LE CADRE DU DÉFI





« Venant du couloir, je perçois de temps à autre des voix. Les gardiens, sans doute, chargés de surveiller les geôles. Je pourrais crier, pleurer, appeler à l’aide, supplier qu’on ôte mes chaînes le temps que je me soulage ailleurs que sur cette paillasse, tachant mon boubou et mes jambes – quelqu’un finirait par venir, fût-ce pour m’ordonner de me taire. Mais je devine que c’est exactement ça qu’ils attendent. Ils veulent que je me dépouille peu à peu de ma fierté. Ils veulent me peler comme un oignon, m’arracher toute dignité. Hors de question.
Je ne les laisserai pas faire. »


Victimes et BourreauxRéalisée en partenariat avec les Imaginales, le festival d’Épinal où le meilleur des auteurs de la fantasy française et mondiale se retrouve chaque année, cette anthologie s’inscrit dans la lignée de Magiciennes et Sorciers et de Rois et Capitaines, salués par une critique enthousiaste qui y a vu « sans doute la meilleure anthologie de fantasy francophone parue à ce jour » (ActuSF).

Rois et Capitaines et Magiciennes et Sorciers abordaient des thèmes plutôt classiques de la fantasy épique, Victimes et Bourreaux abandonne les figures traditionnelles de la fantasy et aborde des sujets qui ne sont pas sans rapport avec l'actualité. Un sujet original qui sort le genre des sentiers battus, mais difficile à aborder sans tomber dans le pathos ou dans le gore. Douze auteurs ont retroussé leurs manches pour écrire sur le sujet. Douze nouvelles ont donc été retenues pour cet ouvrage , et malheureusement la qualité se révèle d'un niveau très largement en dessous de Rois et Capitaines, que j'avais lue lors de sa sortie.

Des victimes et des Bourreaux est un schéma qui, au premier abord, semble simple... mais les histoires proposées mettent en scène des victimes pas aussi démunies qu'elles pourraient l'être et des bourreaux qui ne sont parfois pas ceux que l'on croit...

Comment peut-on imaginer que de tels personnages puissent faire des héros sympathiques, auxquels les lecteurs auront envie de s'identifier ? C'est pourtant le défi qu'ont relevé onze auteurs avec des textes très différents les uns des autres, allant de la science-fiction à la fantasy en passant par un réalisme à faire frémir les lecteurs les plus avertis.

Lucie Chenu - nooSFere.



La Stratégie de l'araignée. - Charlotte Bousquet

Charlotte Bousquet place sont intrigue dans l'univers de ses romans. C'est la seule a avoir pris le titre au pied de la lettre. Dans sa nouvelle, elle narre l'histoire d'une femme accusée sorcellerie à cause de ses dons de prescience et qui est torturée dans une geôle orientale.

Or, elle a précédemment sauvé Tessa, la soeur de Savino, un homme influent, avant de tomber dans les griffes d'un bourreau particulièrement vicieux. Sera-t-elle secourue à temps?

Cette histoire d'une femme soupçonnée de sorcellerie et torturée dans un cachot n'est pas franchement convaincante, même si l'auteur introduit in fine une petite dose d'ambiguïté qui lui évite de sombrer dans la caricature. Si le thème est bien respecté, la notion d'imaginaire est à peine esquissée. La nouvelle se rapproche plus d'un roman sur les Sorcières de Salem, en effet, les « pouvoirs » n'apparaissent que tardivement, en laissant la grande part à un examen de conscience. Le rapport de force entre l'héroïne et son geôlier aurait pu être plus développé.  


Qjörl, l'assassin – Michel Robert.

L'auteur mise sur l'action en nous narrant péripéties d'un groupe de mercenaires chargés de convoyer un assassin pour qu'il puisse être jugé. Mais nos aventuriers doivent traverser des territoires ô combien dangereux.

L'auteur nous livre un mauvais roman de western mâtiné d'un peu de moyen-âge, rapport à l'armement, qui selon moi n'entre pas dans l'imaginaire, ni dans ses sous-genres ; on y retrouve aucun soupçon d'imaginaire. N'ayant pas encore abordé l'auteur dans d'autres ouvrages, malgré quelques achats, cette nouvelle ne m'invite en aucune façon a ouvrir l'un de ses romans.


Porter dans mes veines l'artefact et l’antidote – Justine Niogret

Dans un texte qui se démarque sensiblement de l'univers de « Chien du heaume » et de « Mordre le bouclier », l'auteur nous entraîne dans les coulisses d'un cirque futuriste. Un cirque où la situation d'une jeune femme est dramatique, de force elle doit représenter, en duo avec une créature végétale.

Dans la nouvelle très originale de l'auteur, l'Imaginaire est présent : voyages entre les planètes, cheval-arbre. On retrouve dans cette nouvelle une part de fantastique, et une autre de science-fantasy. La nouvelle est très bien écrite et immersive, mais j'aurais aimé que le rapport de force ente les protagonistes soit un peu plus développé. On retrouve dans cette nouvelle tout l'habilité de l'auteur avec son style minimaliste. Une nouvelle très intéressante.

Que justice soit faite – Maïa Mazaurette.

Le récit de l'auteur nous entraîne dans un long monologue avec en toile de fond l'Inquisition et tout ce qui résulte d'atrocités autant physiques que morales. La nouvelle narre le récit du père Antoine, alors que la baronnie subie une grave crise : la peste a durement frappée le château.

L'auteur nous entraîne dans une nouvelle, à la fois originale et mélancolique. Le thème, avec l'art de la torture psychologiques est respecté et le fantastique transparaît sous forme de tension jusqu'au dénouement final. Malheureusement, la part de l'Imaginaire n'est pas assez présente et le roman dénote une part de roman-historique part trop présente, car seule la folie du prêtre nous rattache au genre précédemment évoqué. Le traitement est sans doute un peu bref, mais le portrait de cet illuminé compte parmi les moments les plus marquants de cette anthologie.

Qui sera le bourreau ? – Pierre Bordage

Un dictateur vient de tomber et il a été décidé que son bourreau sera la personne qui a le plus souffert. Pierre Bordage nous invite à suivre le procès de Stadimir, l'Empaleur. Procès d'un tyran dont on découvre dont on découvre qu'il fût autrefois victime.

Cette nouvelle placée sous l'angle politique n'est pas sans nous rappeler à nouveau le thème du procès des sorcières de Salem mâtiné d'un peu de Dracula de Bram Stocker en nous rappelant très brièvement l'histoire originelle de Vlad l'empaleur. Un texte simple nous démontrant que souvent le bourreau est peut être à la base une victime aussi. Cette nouvelle a de très bon côtés, elle est très bien écrite et le thème est respecté, mais malheureusement de manière caricaturale.L'idée de base et le traitement du thème sont bien réalisés, mais la répétition des faits donne l'impression de répétition alors que la nouvelle ne fait que seize pages.


Ton visage et mon cœur – Nathalie Dau.

Nathalie Dau nous entraîne dans une nouvelle qui s'apparente au conte médiéval et où elle nous narre, dans un cadre intimiste, l'habituelle histoire de la jalousie conjugale ; un sentiment qui use et ronge les sentiments les plus purs.

Avec une très belle écriture, l'auteur sert merveilleusement le thème et nous livre un texte où l'on trouve des hommes bien et des femmes infernales, a contrario de l'idée reçue que se sont toujours les hommes qui tabassent les femmes.

Une nouvelle finement distillée où le fantastique transparaît par le biais d'une statue.


Frères d'armes - Jeanne A. Debats.

A l'école de Sabëlfell, les enfants sont formés pour maîtriser le Talent, afin de combattre l'ennemi. Les groupes sont formés de Poings et d'une Lame. Il faut une parfaite symbiose entre chaque élément. L'arrivée d'un jeune prodige déséquilibre l'harmonie de manière dramatique.

Bien qu'elle n'évoque d'assez loin le sujet, cette nouvelle rappelle par certains aspects le sujet de son roman Plaguers, mais traité de manière intéressante et plus originale. L'auteur propose un univers de contrôle de l'âme qui n'est pas sans rappeler le Sorcier de Terremer.

Il s'agit ici du premier texte de fantasy de l'auteur qui joue avec les codes pour nous surprendre. Une histoire d'amitié et de mort qui dégage un sentiment d'étrangeté de par son univers peu décrit. Une lecture plutôt sympathique.

Jeanne-A DEBATS en tant qu’enseignante, se bat contre les professeurs qui formate l'esprit de leurs étudiants et essaye avec cette nouvelle de faire réfléchir sur la responsabilité de ceux qui forment les enfants.



Désolation – Jean-Philippe Jaworsky

Désolation met en scène une petite troupe de nains et leurs porteurs gnomes tentant de ravitailler une cité alliée assiégée par des peaux vertes, en passant par une cité troglodyte abandonnée où sommeille un dragon.

L'auteur a exploré les univers plein de créatures Tolkiennesques dans les jeux de rôle. Dans sa nouvelle, il imagine l'expédition d'un groupe hétéroclite composé de nobles nains et de lètes, des gnomes. Ils poursuivent leur mission dans la vallée interdite malgré la menace du dragon qui hante les lieux. Mais le chef du clan sait de quoi il retourne, et sa principale crainte n’est pas un dragon, mais la vérité...

La nouvelle se distingue quelque peu de celles des autres auteurs par un texte atypique de facture plus classique où la thématique ne se révèle, malheureusement, que dans le final. Malgré l'originalité et l'univers complet décrit dans la nouvelle, l'auteur nous convie à un long voyage,... un trop long voyage,... pour un rapport aussi faible avec le thème ! L'auteur ne m'avait déjà pas convaincu avec Janua Vera et malgré la programmation d'achat de son dernier roman Même pas mort, cette nouvelle m'incite plus a en faire l'impasse.

Le deuxième œil – Sam Nell

Dans le Deuxième Œil, l'auteur nous narre les souffrances spirituelles d'un disciple qui rejoint le palais du Lamï-Vara pour suivre la voie de l’Éveil et guérir de la gangrène qui lui ronge un sein.

Dans ce texte boudhisant, la souffrance est décrite dans la plus grande cruauté. Une nouvelle sympathique mais le mélange fantasy et exotisme ne m'a pas convaincu, mais m'a toutefois donné l'envie de découvrir un peu plus l'auteur. 



Au-delà des murs – Lionel Davoust

Lionel Davoust inscrit sa nouvelle une fois encore dans l'univers magique d'Evangenyre, un monde qu'il battit patiemment texte après texte. Laenus est un guerrier qui a participé à la campagne de Hieral, une province séparatiste de l'empire. Le problème, c'est qu'il a tout oublié ou presque de l'assaut final du monastère de la capitale où un drame effroyable s'est produit. Il est en réhabilitation dans un hôpital.

L'auteur reconstitue le puzzle pièce par pièce l'histoire au travers du prisme subjectif du narrateur. C'est à une torture davantage psychologique que nous assistons et l'on ne sait plus si le narrateur se range dans la catégorie des coupables ou des victimes. Une nouvelle bien plus convaincante que ses précédents textes et l'immersion dans cet univers d'Evangyre nous invite à lire les récits futurs que l'auteur nous proposera. Un très bon texte qui relève quelque peu le niveau de l'anthologie..



Le Démon de Mémoire – Paul Beorn

La Sylve Edeline est en mission. Elle doit accompagner Dame Maronne à Quiercy pour exécuter un Sâdi, un démon.

Dans cette nouvelle, Paul Beorn aborde la question de vengeance dans une fantasy traditionnelle plutôt rafraîchissante où l'héroïne refuse de se transformer en bourreau pour détruire un démon, au risque d'en susciter un autre.
Une nouvelle qui malgré m'a semblé quelque peu mal construite et qui se termine malheureusement par des élans trop sirupeux.

Mazbaleh – Xavier Mauméjean.

L'auteur clôt le recueil avec une nouvelle biblique qui revisite le Livre de Job .


Xavier Mauméjean, assez jubilatoire dans son écriture comme dans son propos, où un Dieu particulièrement sadique trouve en un croyant à la foi indéfectible la victime idéale. Une nouvelle composée de courts chapitres, tels des versets et, qui colle au thème de l'anthologie avec cynisme


Comme pour les deux autres tomes, chaque auteur est agréablement présenté avant d'enchaîner avec sa nouvelle. La formule fonctionne, permettant une coupure propre entre les nouvelles.

Globalement, quelques bons textes à quelques exceptions près, mais pas assez pour gâcher la lecture, mais il manque toutefois un ou deux textes capables à eux seuls de porter l'anthologie.








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