LECTURE DANS LE CADRE DU DÉFI
« Venant
du couloir, je perçois de temps à autre des voix. Les gardiens,
sans doute, chargés de surveiller les geôles. Je pourrais crier,
pleurer, appeler à l’aide, supplier qu’on ôte mes chaînes le
temps que je me soulage ailleurs que sur cette paillasse, tachant mon
boubou et mes jambes – quelqu’un finirait par venir, fût-ce pour
m’ordonner de me taire. Mais je devine que c’est exactement ça
qu’ils attendent. Ils veulent que je me dépouille peu à peu de ma
fierté. Ils veulent me peler comme un oignon, m’arracher toute
dignité. Hors de question.
Je
ne les laisserai pas faire. »
Victimes
et Bourreaux…
Réalisée
en partenariat avec les Imaginales,
le festival d’Épinal où le meilleur des auteurs de la fantasy
française et mondiale se retrouve chaque année, cette anthologie
s’inscrit dans la lignée de Magiciennes
et Sorciers et
de Rois
et Capitaines,
salués par une critique enthousiaste qui y a vu « sans doute la
meilleure anthologie de fantasy francophone parue à ce jour »
(ActuSF).
Rois
et Capitaines et Magiciennes et Sorciers abordaient des
thèmes plutôt classiques de la fantasy épique, Victimes et
Bourreaux abandonne les figures traditionnelles de la fantasy et
aborde des sujets qui ne sont pas sans rapport avec l'actualité. Un
sujet original qui sort le genre des sentiers battus, mais difficile
à aborder sans tomber dans le pathos ou dans le gore. Douze auteurs
ont retroussé leurs manches pour écrire sur le sujet. Douze
nouvelles ont donc été retenues pour cet ouvrage , et
malheureusement la qualité se révèle d'un niveau très largement
en dessous de Rois et Capitaines, que
j'avais lue lors de sa sortie.
Des
victimes et des Bourreaux est un schéma qui, au premier abord,
semble simple... mais les histoires proposées mettent en scène des
victimes pas aussi démunies qu'elles pourraient l'être et des
bourreaux qui ne sont parfois pas ceux que l'on croit...
Comment
peut-on imaginer que de tels personnages puissent faire des héros
sympathiques, auxquels les lecteurs auront envie de s'identifier ?
C'est pourtant le défi qu'ont relevé onze auteurs avec des textes
très différents les uns des autres, allant de la science-fiction à
la fantasy en passant par un réalisme à faire frémir les lecteurs
les plus avertis.
Lucie Chenu - nooSFere.
La
Stratégie de l'araignée. - Charlotte Bousquet
Charlotte Bousquet place sont intrigue dans l'univers de ses romans. C'est la seule a avoir pris le titre au pied de la lettre. Dans sa nouvelle, elle narre l'histoire d'une femme accusée sorcellerie à cause de ses dons de prescience et qui est torturée dans une geôle orientale.
Or,
elle a précédemment sauvé Tessa, la soeur de Savino, un homme
influent, avant de tomber dans les griffes d'un bourreau
particulièrement vicieux. Sera-t-elle secourue à temps?
Cette
histoire d'une femme soupçonnée de sorcellerie et torturée dans un
cachot n'est pas franchement convaincante, même si l'auteur
introduit in fine une
petite dose d'ambiguïté qui lui évite de sombrer dans la
caricature. Si le thème est bien respecté, la notion d'imaginaire
est à peine esquissée. La nouvelle se rapproche plus d'un roman sur
les Sorcières de Salem, en effet, les « pouvoirs »
n'apparaissent que tardivement, en laissant la grande part à un
examen de conscience. Le rapport de force entre l'héroïne et son
geôlier aurait pu être plus développé.
Qjörl,
l'assassin – Michel Robert.
L'auteur
mise sur l'action en nous narrant péripéties d'un groupe de
mercenaires chargés de convoyer un assassin pour qu'il puisse être
jugé. Mais nos aventuriers doivent traverser des territoires ô
combien dangereux.
L'auteur
nous livre un mauvais roman de western mâtiné d'un peu de
moyen-âge, rapport à l'armement, qui selon moi n'entre pas dans
l'imaginaire, ni dans ses sous-genres ; on y retrouve aucun
soupçon d'imaginaire. N'ayant pas encore abordé l'auteur dans
d'autres ouvrages, malgré quelques achats, cette nouvelle ne
m'invite en aucune façon a ouvrir l'un de ses romans.
Porter
dans mes veines l'artefact et l’antidote – Justine Niogret
Dans
un texte qui se démarque sensiblement de l'univers de « Chien
du heaume » et de « Mordre le bouclier », l'auteur
nous entraîne dans les coulisses d'un cirque futuriste. Un cirque où
la situation d'une jeune femme est dramatique, de force elle doit
représenter, en duo avec une créature végétale.
Dans
la nouvelle très originale de l'auteur, l'Imaginaire est présent :
voyages entre les planètes, cheval-arbre. On retrouve dans cette
nouvelle une part de fantastique, et une autre de science-fantasy. La
nouvelle est très bien écrite et immersive, mais j'aurais aimé que
le rapport de force ente les protagonistes soit un peu plus
développé. On retrouve dans cette nouvelle tout l'habilité de
l'auteur avec son style minimaliste. Une nouvelle très intéressante.
Que
justice soit faite – Maïa Mazaurette.
Le
récit de l'auteur nous entraîne dans un long monologue avec en
toile de fond l'Inquisition et tout ce qui résulte d'atrocités
autant physiques que morales. La nouvelle narre le récit du père
Antoine, alors que la baronnie subie une grave crise : la peste
a durement frappée le château.
L'auteur
nous entraîne dans une nouvelle, à la fois originale et
mélancolique. Le thème, avec l'art de la torture psychologiques
est respecté et le fantastique transparaît sous forme de tension
jusqu'au dénouement final. Malheureusement, la part de l'Imaginaire
n'est pas assez présente et le roman dénote une part de
roman-historique part trop présente, car seule la folie du prêtre
nous rattache au genre précédemment évoqué. Le
traitement est sans doute un peu bref, mais le portrait de cet
illuminé compte parmi les moments les plus marquants de cette
anthologie.
Qui
sera le bourreau ? – Pierre Bordage
Un
dictateur vient de tomber et il a été décidé que son bourreau
sera la personne qui a le plus souffert. Pierre Bordage nous invite à
suivre le procès de Stadimir, l'Empaleur. Procès d'un tyran dont on
découvre dont on découvre qu'il fût autrefois victime.
Cette
nouvelle placée sous l'angle politique n'est pas sans nous rappeler
à nouveau le thème du procès des sorcières de Salem mâtiné d'un
peu de Dracula de Bram Stocker en nous rappelant très brièvement
l'histoire originelle de Vlad l'empaleur. Un texte simple nous
démontrant que souvent le bourreau est peut être à la base une
victime aussi. Cette nouvelle a de très bon côtés, elle est très
bien écrite et le thème est respecté, mais malheureusement de
manière caricaturale.L'idée de base et le traitement du thème sont
bien réalisés, mais la répétition des faits donne l'impression de
répétition alors que la nouvelle ne fait que seize pages.
Ton
visage et mon cœur – Nathalie Dau.
Nathalie
Dau nous entraîne dans une nouvelle qui s'apparente au conte
médiéval et où elle nous narre, dans un cadre intimiste,
l'habituelle histoire de la jalousie conjugale ; un sentiment
qui use et ronge les sentiments les plus purs.
Avec
une très belle écriture, l'auteur sert merveilleusement le thème
et nous livre un texte où l'on trouve des hommes bien et des femmes
infernales, a contrario de l'idée reçue que se sont toujours les
hommes qui tabassent les femmes.
Une
nouvelle finement distillée où le fantastique transparaît par le
biais d'une statue.
Frères
d'armes - Jeanne A. Debats.
A
l'école de Sabëlfell, les enfants sont formés pour maîtriser le
Talent, afin de combattre l'ennemi. Les groupes sont formés de
Poings et d'une Lame. Il faut une parfaite symbiose entre chaque
élément. L'arrivée d'un jeune prodige déséquilibre
l'harmonie de manière dramatique.
Bien
qu'elle n'évoque d'assez loin le sujet, cette nouvelle rappelle par
certains aspects le sujet de son roman Plaguers,
mais traité de manière intéressante et plus originale. L'auteur
propose un univers de contrôle de l'âme qui n'est pas sans rappeler
le Sorcier
de Terremer.
Il
s'agit ici du premier texte de fantasy de l'auteur qui joue avec les
codes pour nous surprendre. Une histoire d'amitié et de mort qui
dégage un sentiment d'étrangeté de par son univers peu décrit.
Une lecture plutôt sympathique.
Jeanne-A
DEBATS en tant qu’enseignante, se bat contre les professeurs qui
formate l'esprit de leurs étudiants et essaye avec cette nouvelle de
faire réfléchir sur la responsabilité de ceux qui forment les
enfants.
Désolation
– Jean-Philippe Jaworsky
Désolation
met en scène une petite troupe de nains et leurs porteurs gnomes
tentant de ravitailler une cité alliée assiégée par des peaux
vertes, en passant par une cité troglodyte abandonnée où sommeille
un dragon.
L'auteur
a exploré les univers plein de créatures Tolkiennesques dans les
jeux de rôle. Dans sa nouvelle, il imagine l'expédition d'un groupe
hétéroclite composé de nobles nains et de lètes, des gnomes. Ils
poursuivent leur mission dans la vallée interdite malgré la menace
du dragon qui hante les lieux. Mais le chef du clan sait de quoi il
retourne, et sa principale crainte n’est pas un dragon, mais la
vérité...
La
nouvelle se distingue quelque peu de celles des autres auteurs par un
texte atypique de facture plus classique où la thématique ne se
révèle, malheureusement, que dans le final. Malgré l'originalité
et l'univers complet décrit dans la nouvelle, l'auteur nous convie à
un long voyage,... un trop long voyage,... pour un rapport aussi
faible avec le thème ! L'auteur ne m'avait déjà pas convaincu
avec Janua
Vera
et malgré la programmation d'achat de son dernier roman Même
pas mort,
cette nouvelle m'incite plus a en faire l'impasse.
Le
deuxième œil – Sam Nell
Dans
le Deuxième Œil,
l'auteur nous narre les souffrances spirituelles d'un disciple qui
rejoint le palais du Lamï-Vara pour suivre la voie de l’Éveil et
guérir de la gangrène qui lui ronge un sein.
Dans
ce texte boudhisant, la souffrance est décrite dans la plus
grande cruauté. Une nouvelle sympathique mais le mélange fantasy et
exotisme ne m'a pas convaincu, mais m'a toutefois donné l'envie de
découvrir un peu plus l'auteur.
Au-delà
des murs – Lionel Davoust
Lionel
Davoust inscrit sa nouvelle une fois encore dans l'univers magique
d'Evangenyre, un monde qu'il battit patiemment texte après texte.
Laenus est un
guerrier qui a participé à la campagne de Hieral, une province
séparatiste de l'empire. Le problème, c'est qu'il a tout oublié ou
presque de l'assaut final du monastère de la capitale où un drame
effroyable s'est produit. Il est en réhabilitation dans un hôpital.
L'auteur
reconstitue le puzzle pièce par pièce l'histoire au travers du
prisme subjectif du narrateur. C'est à une torture davantage
psychologique que nous assistons et l'on ne sait plus si le narrateur
se range dans la catégorie des coupables ou des victimes. Une
nouvelle bien plus convaincante que ses précédents textes et
l'immersion dans cet univers d'Evangyre nous invite à lire les
récits futurs que l'auteur nous proposera. Un très bon texte qui
relève quelque peu le niveau de l'anthologie..
Le
Démon de Mémoire – Paul Beorn
La
Sylve Edeline est en mission. Elle doit accompagner Dame Maronne à
Quiercy pour exécuter un Sâdi, un démon.
Dans
cette nouvelle, Paul Beorn aborde la question de vengeance dans une
fantasy traditionnelle plutôt rafraîchissante où l'héroïne
refuse de se transformer en bourreau pour détruire un démon, au
risque d'en susciter un autre.
Une
nouvelle qui malgré m'a semblé quelque peu mal construite et qui se
termine malheureusement par des élans trop sirupeux.
Mazbaleh
– Xavier Mauméjean.
L'auteur
clôt le recueil avec une nouvelle
biblique qui revisite le Livre de Job .
Xavier
Mauméjean, assez jubilatoire dans son écriture comme dans son
propos, où un Dieu particulièrement sadique trouve en un croyant à
la foi indéfectible la victime idéale. Une nouvelle composée de
courts chapitres, tels des versets et, qui
colle au thème de l'anthologie avec cynisme
Comme
pour les deux autres tomes, chaque auteur est agréablement présenté
avant d'enchaîner avec sa nouvelle. La formule fonctionne,
permettant une coupure propre entre les nouvelles.
Globalement,
quelques bons textes à quelques exceptions près, mais pas assez
pour gâcher la lecture, mais il manque toutefois un ou deux textes
capables à eux seuls de porter l'anthologie.
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